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  • 1987 - Jean-Louis Ferrier (historien de l'art et critique d'art)

GRATALOUP, PLEINE LUMIÈRE


L'île, l'arbre et la borie. L'île à laquelle on parvient au terme d'une navigation ou d'un envol, centrale, éminente : l'arbre, symbole de verticalité qui s'élance vers le ciel, axe du monde, ancêtre, figure de vie en perpétuelle évolution : la borie, demeure initiale des hommes, cavernes en pierre sèche, île inversée.. C'est, me semble-t-il, autour de ces trois archétypes que culmine l'œuvre actuelle de Grataloup.


Archétype, c'est-à-dire formes "à priori" de l'inconscient, comme il existe des formes "à priori" de l'entendement fondées sur des règles de la logique, mais fonctionnant, de manière plus complexe, par volées d'images, ainsi que l'a montré C.-G. Jung et même, ici, par volées de couleurs.


Il est des artistes, en effet, qui tachent et paraphent, graffitent, empâtent à gogo. Grataloup n'est pas de ceux-là : ses toiles qui viennent de loin, de Goethe pour qui "la couleur est l'expression et la douleur de la lumière", de Runge et de sa sphère des couleurs, de Schopenhauer, de Novalis. Avec, en leur noyau, des sortes d'arc-en-ciel ou d'aurores boréales psychiques où le rouge est feu et sang, le vert eau et foudre, le violet mort et sublimation. Aux antipodes de l'analyse spectrale de Newton qui ne s'adresse jamais qu'à nos récepteurs rétiniens.


Cependant, sa peinture n'est pas moins physique que métaphysique et, en cela, alchimique dans la mesure où l'alchimiste est le sage qui atteint, par et dans un travail sans cesse réitéré de la matière, les hautes régions de la spiritualité. Car, à l'inverse des expressionnismes qui montent les tons arbitrairement, Grataloup est un rigoureux coloriste, dans la droite ligne de la peinture française traditionnelle et moderne.


"Quand je mets un vert, ça ne veut pas dire l'herbe ; quand je mets un bleu, ça ne veut pas dire le ciel", écrivait Matisse. Sa phrase peut être comprise de deux façons. A savoir que le peintre moderne a désormais acquis le droit de transgresser l'image du visible comme bon lui semble et, de manière plus profonde, que même si l'herbe est verte et le ciel bleu dans un tableau, il ne faut y voir ni de l'herbe ni du ciel, mais des aplats colorés.


Ainsi en va-t-il chez Grataloup, à la différence, bien sûr, qu'il vise, lui, à travers le plaisir de l’œil, l'ampleur de l'esprit.


Ce que j'aime dans ses îles, ses arbres et ses bories, c'est qu'ils sont de la peinture. Je veux dire que les archétypes, au lieu de rester philosophiques ou littéraires, s'y incarnent, prennent corps picturalement. Cela se voit dans n'importe laquelle de ses toiles et surtout, peut-être, dans celles où paraphrasent Goethe et le retournant en son contraire, on peut dire que "la lumière est l'expression et le bonheur de couleur".


Grataloup, pleine lumière. Oui, décidément, d'île éminente en arbre axial, les bories étant leur bouche d'ombre - voilà, le point Oméga de cette exposition.


Jean-Louis Ferrier (historien de l'Art)


Texte accompagnant le catalogue d'exposition - Galerie Lavignes-Bastille - Janvier1987


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