A s'y méprendre, Grataloup fonde de tableau en tableau un espace où des mondes se mêlent, se répondent. La codification dans les matières et dans les couleurs tisse autour du spectateur une ramification ténue entre sensibilité et spiritualité.
L'artiste nous montre à force de symboles (et non de symbolisme) que notre environnement n'est fait que de fibres, de matières et de terres. Terres où parfois apparaissent les ultimes initiations pour que le contour de l'homme jaillisse devant nos yeux.
Entre les "Chutes d'Icare", les "Bories", les "Tireurs à l'arc", Grataloup démontre l'évidence que tout n'est que sensualité. les "Paysages" (série dont il dégage une matrice originelle à partir de laquelle il forge d'autres toiles), les "Autoportraits" (série dont le titre générique peut déconcerter à première vue), s'emploient à stigmatiser nos paradoxes ou peut-être les siens.
Mais ici l'artiste ne se fait pas égotiste, il nous entraîne seulement sur les chemins de traverse de l'initiation et de la révélation. Grataloup affirme nettement qu'il peut regarder maintenant le ciel en face. Dernièrement une chute dans une course de montagne l'a fait choir dans une faille : il n'avait pour seul horizon que des murs de neige et le bleu des cieux. L'artiste devenait une sorte d' Icare, le maître rencontrait par hasard son modèle. La béance l'avait arraché à l'univers des humains.
Mais avant d'arriver à ce vis-à-vis céleste, l'artiste à dû affronter bien des épreuves. Une enfance cachée dans des égouts lyonnais pour échapper aux rafles. Il fit son nid de l'obscur et des ténèbres dont il dut supporter toute le poids. "Porteur d'un fardeau dont je voulais me dégager à une certaine époque, et qui pourtant a nourri et nourrit encore ma peinture". "C'est toujours la nuit sur l'homme" lâche-t-il enfin en guise d'aphorisme.
Il fut aussi le jeune homme perdu dans les idéologies et où les remises en question l'ont fait même douter de la peinture en particulier et de l'art en général.
Prise de conscience, crise de croissance, Grataloup revient à cette matière chaude et si vive qui régit son œuvre. Les tableaux aujourd'hui se sont faits plus violents, le graphisme plus mordant. De longues traces morcellent et déchirent l'espace pictural. De longs effets de matière sortis à peine d'un tube de couleur régissent le support : angles, droites infinies mais aussi courbes et entrelacs. Des coulées de teintes surgissent et s'étalent.
Le peintre a versé à même la toile des pots de peinture qu'il va lentement et sereinement travailler. La composition de chacune de ces œuvres ne joue pas sur l'innocence, et le geste hâtif du créateur, mais s'anime autour de constructions précises, des échafaudages de plans et de reliefs sans pour autant rejeter une certaine gestualité. Les couleurs, elles-mêmes, ne s'étalent pas n'importe comment. Tout cela s'avère réfléchi. La lumière et l'ombre s'interpellent parfois, se pénètrent. Les jaunes, les bleus, les rouges répondent aux gris et aux noirs.
L'or, l'alchimie n'est pas loin, et "intervient comme une matière mystérieuse". Il est un peu hors de la palette du peintre. C'est "l'incommunicabilité et le mystère divin" (titre de l'entretien avec Christian Jaccard et Claude Viallat pour l'exposition de l'hiver 1987 à la Galerie Lavignes-Bastille).
Au fil des toiles, il nous guide étape par étape à la découverte du mystère souverain dont il voudrait connaître enfin les limites, les frontières, les barrières. L'artiste veut démontrer que l’inaccessible peut être atteint.
Philippe Carteron (critique d'Art) - avril 1990
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